Sainte Monique et Saint Augustin

Témoins du Christ et de lÉglise

Homélies pour leurs fêtes les 27 et 28 Août 2020


Version 2

Les Larmes de l’amour…

Elles sont célèbres les larmes de sainte Monique. « Dieu très bon, réconfort de ceux qui pleurent, tu accueillais avec amour les larmes de sainte Monique… » Ainsi commence l’oraison du Missel Romain en cette mémoire de la mère du futur évêque d’Hippone.

D’aucuns voudraient faire de saint Monique la mère des pleureuses… Sottise !

Dérision mal venue pour celle qui fut mère du bel amour à l’image de la Vierge Marie…

Qui a été témoin de véritables larmes d’âme ne peut oublier.

Qui a lui-même versé de telles larmes en sait le prix et le poids d’éternité en amour. Elles sont du ciel autant que de la terre. De telles larmes ne se confondent avec aucune autre.

 

Les larmes de la victime sous la violence de son bourreau appellent l’urgence du soulagement de la charité, l’urgence des bonnes médecines selon la nature du mal subi. Honneur au bon samaritain qui soulage et guérit de telles larmes.

Les larmes de la sensibilité excessive ou de l’amour non ajusté, y compris en vie religieuse, ne méritent que la douceur autant que la ferme justice pour être vite taries et inviter à la marche droite selon la grâce et la nature.

Les larmes d’âmes, elles, ne peuvent être consolées par aucun autre baume que celui du pur amour, car de telles larmes ne procèdent que de lui. L’amour seul en sa plénitude peut ici répondre à l’amour qui déchire le cœur en son intimité. La grandeur de l’amour véritable peut seul ouvrir ici à l’éternité de l’amour autant qu’à l’amour de l’éternité.

 

Monique est bonne chrétienne. En vraie mère elle est éblouie de la vie qui est née en son sein d’un amour légitime lequel élève l’âme alors même qu’il s’inscrit au plus intime de la chair. Le fruit de l’amour maternel dépasse toujours toute attente. L’enfant nouveau-né suscite et éveille au cœur de la mère un amour plus grand encore par son existence même. L’enfant surprend, se déprend et s’envole de l’amour de sa mère pour devenir à son tour donneur de vie. Si la mère le garde elle l’étouffe d’une prise mortelle. Si l’enfant ne s’envole il se prend à l’amour maternel comme l’oiseau dans les filets d’un piège mortifère.

L’amour de soi est pauvre. La chasteté en amour élève et accomplit tout amour maternel et filial plus qu’en aucune autre amitié. Monique est mère par nature et par grâce. Augustin son fils a pris son envol mais si loin du berceau chrétien qui l’a vu naître. Passionné et dévoreur de la vie, le fils cherche désespérément dans les créatures et la philosophie la vérité de l’amour. Monique ne peut que constater les errements de son fils. Elle ne cherchera en aucun cas à ce qu’il en échappe car ainsi va l’amour. Il est démuni par nature. La liberté offerte à la naissance donne autant de pouvoir aimer en vérité que de pouvoir se méprendre jusqu’à la damnation quant au véritable amour.

A Monique il ne reste plus, comme au père prodigue de la parabole évangélique, que la patience de la veille, les larmes d’âmes de l’amour et la foi en la puissance amoureuse de la grâce. Telle une eau qui s’infiltre au plus dur des rochers les plus bruts, la grâce est seule capable de parler au cœur pour faire éclater un jour sous le gel même de l’erreur les endurcissements les plus meurtriers. Monique pleure et espère. Elle aime en ses larmes d’une espérance indéfectible. Elle croit d’une foi droite que l’amour n’a pas dit son dernier mot tant qu’il reste une once de liberté à cette vie de l’enfant qu’elle aime. Liberté d’homme qui peut consentir sous le seul effet de la grâce laquelle opère seule sans jamais contraindre.

Folie d’amour de Dieu qui durant les siècles d’une si longue histoire d’Alliance laisse l’homme se perdre et se détruire en ses errements jusqu’à l’épuisement de la vie. Dieu n’a d’autre réponse que l’offrande des larmes du Fils Unique et bien-aimé transpercé au plein cœur jusqu’à en être exsangue d’eau et de sang.

Monique a communié, jusqu’à la mort en ce monde, aux larmes du Fils Unique du Dieu crucifié d’amour. Monique a versé avec Lui et en Lui les seules larmes qui convertissent le truand en bon larron, le dictateur en agneau, le révolté en fiancé et le rebelle en fils docile. Monique peut mourir d’amour. Augustin le chantre de l’amour est né. Ce fut le prix du sang et des larmes d’âme.


Par dessus tout qu’il y ait l’amour...

Augustin fut saisi par l’absolue gratuité de Dieu. Ébloui, retourné à jamais, Augustin devient le chantre de l’Amour et de l’Unité dans l’Amour. Apôtre de l’Église, évêque incomparable, fondateur et docteur de l’Église pour tous les siècles, nous lui sommes tous redevables.

Après une longue errance, les larmes d’amour de sa mère, unies à la patience inépuisable du Seigneur lui offrirent cette grâce inouïe de l’illumination du cœur qui le ramène à la vraie foi dans la vérité. Cet éblouissement renversa toute sa perspective de pensée. En même temps elle la réorienta.

À l’exemple des apôtres l’expérience est cuisante pour Augustin : l’homme laisser à ses seules forces peut dangereusement errer très loin de son Créateur aussi longtemps que ce dernier ne vient pas à son secours. Les apôtres prétendaient avoir tout compris de leur Maître. Hormis Jean, ils l’abandonnèrent tous. Le pardon reçu au jour de la Résurrection du Christ leur offre la terre ferme, la miséricorde infinie du cœur de Jésus, terre où l’on sait d’une connaissance intime que tout est don. Sans la grâce il n’est point de nature qui se perde. Durant de longues années Augustin cherche la vérité, la sagesse digne de l’homme, à travers toutes les philosophies de son temps. Il vit une union conjugale honnête mais non conforme au dessein de Dieu et à la grâce de son baptême. Augustin est loin de son Dieu… « Averti de revenir à moi-même, écrit-il, je suis entré au fond de mon cœur, sous ta conduite, Seigneur, et j’ai pu le faire, parce que tu es venu à mon secours… »

L’amour véritable jaillit alors du cœur du futur apôtre pour confesser les « Mirabilia Dei », les merveilles de Dieu. Un cri de foi en une somme théologique pour tous les temps. Dieu semble avoir laissé son fils errer suffisamment longtemps et suffisamment largement pour qu’il puisse, de toutes ces doctrines, en reprendre l’argumentation et leur manifester la véritable voie de la sagesse.

Certains le diront inventeur du péché originel, ou du moins d’une certaine vision de ce péché des origines. Comment ne pas confesser la brisure originelle quand on a fait comme lui l’expérience brûlante de son propre péché, de sa radicale incapacité à trouver la vérité malgré tant d’efforts déployés. Augustin a rejoint en son propre itinéraire l’expérience bimillénaire d’Israël. Les israélites confessaient en Isaïe que le ciel devait s’ouvrir pour guérir l’homme au plus intime afin de lui apprendre à pratiquer la loi divine. Le constat de tant de résistances à Dieu était trop clair : une brisure originelle blessait l’homme en sa quête du bonheur. Le courant du judaïsme qui ne croyait pas au péché originel s’est opposé à Jésus mais n’en attend toujours pas moins de Dieu les dons du Saint Esprit pour pratiquer la Torah.

Augustin confessera ce qu’aujourd’hui toute l’Église chante à la Vigile Pascale : « Heureuse faute qui nous valut un tel rédempteur… » Heureuse parce que le Créateur et Père de toutes choses lorsqu’il nous recrée en son Fils fait une œuvre plus merveilleuse encore que lorsqu’Il nous a créés. Augustin, renouvelé par sa foi à la racine de son âme et de la moindre cellule de son corps, criera au monde en sa vie et son enseignement la gratuité absolue de l’amour. Cet amour infini si absolu qu’il laisse l’homme à sa souveraine liberté pour chercher son Dieu ou le rejeter.

« Tu nous a fait pour Toi, Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi. » Notre époque, particulièrement en Occident, en fait la rude expérience. Pour avoir proclamé en philosophie la mort de Dieu, il ne lui reste plus que la guerre ou l’érotisme, à moins de chercher aujourd’hui à augmenter l’homme autant qu’à inventer le transhumanisme… Mais pour aller où, si après la mort il n’y a que le néant ? … Pour vivre quoi quand un pauvre coronavirus nous confine dans la peur de la mort réduisant en cendre nos recherches les plus sophistiquées ? Époque étrange où l’homme ne vaut pas plus que l’animal puisque Dieu n’est plus le créateur qui différencie et met à distance, autant qu’il ordonne et gouverne sa création avec amour. « J’étais loin de toi, dans le pays de l’exil et de la dissemblance… » Étonnante actualité d’Augustin. Ne sommes-nous pas au pays de la dissemblance en ce 21° siècle commençant ? …

En notre époque perdue et merveilleuse à la fois, Augustin nous offre son cœur comme le dépeignent tant de représentations. Nous sommes appelés plus que jamais à vivre cœur à cœur en Dieu et avec Dieu une foi faite seulement d’amour pur, une foi débordante de reconnaissance pour la gratuité immense du Seigneur et de ses dons. Nous sommes appelés, plus que jamais, avec l’évêque d’Hippone à vivre une passion brûlante pour l’unité loin de toute uniformité ou nivellement. 

Unité entre nous les chrétiens d’abord autant qu’unité entre tous les peuples. Unité qui passe par Jésus, Chemin, Vérité et Vie. Unité qui se reçoit autant qu’elle se réfléchit par la foi et la raison, indissociablement. Les deux ailes de la connaissance, le cœur et l’intelligence, nous offriront avec l’évêque d’Hippone d’embrasser le monde en sa quête de vérité et de lui révéler le feu divin du Cœur du Christ. 

Unité de la pensée qui nous conduira à tout envisager en harmonie dans les différences mêmes, harmonie dans le Christ, Unique Rédempteur et Sauveur de l’homme, visage de l’amour du Père et chemin vers la communion divine. 

Unité qui est communion seulement parce que tout et tous sont reçus comme un don à l’image de la vie intratrinitaire où Dieu est la clé de voûte de la cathédrale-univers. Au sein des Trois Adorables la vie n’appartient à personne en étant à tous dans une circulation d’amour qui donne à chacun sa beauté unique.

Ce monde attend que nous nous laissions saisir par le Dieu d’amour afin de confesser que rien ne nous appartient sinon toute chose et toute créature, mais en Dieu seul et par Lui seul, comme le proclame la finale de la prière eucharistique. Ainsi à l’école d’un si grand maître apprenons que nous sommes des débiteurs insolvables et de simples serviteurs pour confesser les merveilles de Dieu dans notre vie comme dans celle de nos frères, de tous nos frères en humanité.

« Par-dessus tout cela, qu’il y ait l’amour : C’est lui qui fait l’unité dans la perfection... » 

L’Amour est Dieu… dira Augustin. Dieu seul est Amour qui nous établit en communion.

© Fr. Jean-Dominique 2017