Appelés dans le regard de Dieu

Homélie pour le 2° Dimanche du Temps de l’Église

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

Abbaye Notre-Dame de Miséricorde. Rosans le 17 Janvier 2021

La vocation de Matthieu              (Le Caravage°

« Jésus allait et venait... » non loin de là où Jean, son cousin prophète, baptise le bon peuple venu de tous les horizons de la Galilée et de la Judée. L’homme de Dieu pose son regard sur celui qui va et vient. Un homme parmi tant de pénitents du baptiste. Un pénitent unique cependant par le lien de parenté entre Jésus et Jean. Un unique repéré, par l’unique qualité des cœurs de Jean et de Jésus. Déjà, minuscule embryon dans le sein de sa mère, Jean avait fait tressaillir celle-ci à la venue de ce Jésus plus petit que lui encore dans le sein de Marie. Unique est Jean dans sa stature d’homme de Dieu et dans son ministère de prophète. Les grands prêtres troublés lui envoient force délégation pour demander qui il est, par quelle autorité il agit de manière si nouvelle et si surprenante. Unique est Jésus né de Marie par le don de l’Esprit. Uniques les deux hommes qui ouvrent l’histoire des évangiles par deux impossibles majeurs : une vieille femme stérile qui enfante et une vierge qui devient mère sans l’ombre d’un homme. La naissance unique de ces deux hommes de Dieu est là pour nous dire une unique parole, une unique mission, une unique réponse.

Jésus ayant atteint environ ses trente ans va et vient au bord du Jourdain, lieu symbolique de toutes les traversées impossibles qui ont vu naître le peuple d’Israël, le peuple d’un Dieu unique. Jésus va et vient à la rencontre de ce prophète béni du Jourdain lequel crie dans le désert à la foule égarée par toutes sortes de péchés : Préparez les chemins du Seigneur... Jésus va et vient et il se laisse regarder par son cousin. Jésus ne s’impose pas. Jésus ne crie pas la vérité de sa mission à coups d’arguments impératifs. Jésus est né d’un appel à l’intime et de l’unique réponse du cœur totalement libre. Jésus est né d’un regard et d’un accueil. L’ange a dit la parole et la Mère a répondu. « Il s’est penché sur l’humilité de son esclave... »

Dieu est regard et appel. De toute éternité le Père, source de la divinité, appelle son Fils à être Dieu son égal, dans un regard unique d’amour, dans l’unique nature. Le Fils regarde son Père et répond à son appel par le don total de sa personne. L’Esprit est appel et regard du Père et du Fils dans l’échange des deux qui ne font qu’Un en Lui.-

Jean le baptiste regarde Jésus et l’offre aux regards de ses disciples. « Voici l’agneau de Dieu... » Tout fils d’Israël est agneau de Dieu... Oui, mais Jésus est Agneau unique. Ici une inversion capitale s’opère en effet au regard de la coutume juive. En Israël aucun maître n’appelle ses disciples, voilà bien pourquoi Jean-Baptiste ne fait que désigner Jésus à ses propres disciples. En Israël c’est le croyant qui choisit son maître, pour le temps qu’il veut. Ainsi les disciples de Jean s’avancent sans doute pour choisir de devenir disciple de ce Jésus désigné par leur maître. Étonnement, c’est alors Jésus qui les regarde et les appelle. « Venez et voyez... » « Jésus posa son regard sur Simon et dit : Tu t’appelleras Pierre... » 

Dès le commencement du monde la création est appelée à l’existence par le Verbe de Dieu. Dieu dit et cela est .... La création est appelée par l’amour pour être une réponse d’alliance à son Créateur. Toute créature est parole de Dieu qui dit Dieu par sa simple existence puisque appelée à être par la parole de Dieu. Tout a été créé par Lui, et sans Lui rien ne s’est fait. Dans la Genèse toute créature est appelée à vivre sa vie dans l’appel que l’homme lui lance en la nommant d’un nom unique... L’homme ne peut vivre sa vie sans être appelé d’une parole d’amour dans un regard unique où il est regardé comme unique par le Père des lumières. Israël est né du regard de Dieu qui l’a appelé à l’Alliance qui fera de Lui un peuple unique pour dire à tout homme qu’il est unique. 

Dieu ne regarde pas sa création d’en haut, dans les nuages, les éclairs et les tonnerres de toutes les tempêtes de nos vies, mais Dieu regarde ses créatures d’en bas, de la terre... Seul Dieu est humble. Il est d’en bas pour nous faire naître d’en haut. Voilà ce que le démon a refusé aux origines, à savoir que Dieu se mêle au glébeux, au terrien, à l’adama, pour dire son amour et appelé à son Alliance, pour guérir et accomplir sa création. 

Du plus profond et de l’intime du sein de la femme Dieu est sorti de la chambre nuptiale pour épouser toute la création et chaque créature dans un regard d’amour qui appelle chacun de manière unique. « Se retournant, Jésus vit qu’ils le suivaient, et leur dit : « Que cherchez-vous ?... - Où demeures-tu ? - Venez et voyez... Jésus posa son regard et lui dit : Tu es Simon, ... tu t’appelleras Pierre... »

Il n’y a d’appel véritable pour vivre et faire vivre que de Dieu. Il n’y a d’appel véritable que jailli d’en bas, de l’humilité de Dieu, qui seul peut dire : suis-moi... Toute tentative d’appeler qui n’est pas de Dieu pour se fabriquer la plus belle des religions ou la plus merveilleuse des vocations n’est que ruine et misère qui conduit aux malheurs, à la dissemblance, à la tristesse et la désolation. Tel est le drame de l’homme moderne qui prétend susciter un homme nouveau hors d’une réponse à l’appel de Dieu. Il n’y a d’homme nouveau, d’homme heureux, qu’appelé par Dieu, car Dieu seul est joie, amour et lumière. Seul le Créateur connait sa créature, seul le berger connait ses brebis.

Tout se joue dans un éternel regard et un appel infini...

Le bruit des idéologies peut noyer ce dialogue entre Dieu et ses créatures, mais le silence de Dieu est plus fort que tous les cris de nos autoroutes de la communication... Il ne cesse de conduire l’homme au désert, malheureusement souvent après de grandes catastrophes, conséquences, la plupart du temps, de nos prétentions à bâtir un homme nouveau. Au désert de nos vies, quand enfin le silence se fait, un homme appelé Jean regarde et nomme Jésus, le Verbe fait chair, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché de nos faux appels, de nos faux regards, pour nous laisser emprunter le chemin de l’appel unique sur nos vies d’enfants uniques. Jésus nous regarde chacun et nous appelle de façon unique jusque parfois à l’originalité : « Suis, moi... »

Il est le chemin, la vérité et la vie.... Laissons- le faire...

© Fr. Jean-Dominique 2017