La lèpre qui nous ronge…

Homélie pour le 6° Dimanche du Temps de l’Église

Frère Jean-Dominique Dubois, ofm

Église paroissiale de Chorges, le 14 Février 2021


« Un lépreux vint auprès de Jésus... »

Dans la pensée biblique la lèpre est associée au péché, le mal absolu et le plus grave. « Le péché m'a fait perdre mes forces, il me ronge les os » crie le psalmiste Ps 30, 11 Telle la lèpre ronge et mutile le corps humain jusqu’à la moelle, le péché ronge l’âme et engendre toutes sortes de maladie du corps. La foi d’Israël croit à l’existence d’un lien profond entre le mal et la souffrance sous toutes ses formes. La création et les créatures sont malades du péché de l’homme ou des péchés en général. Ce n’est que progressivement que les Israélites vont dégager la responsabilité personnelle de la responsabilité collective, la responsabilité individuelle de l’héritage des liens familiaux jusqu’à l’affirmation de Jésus qui dégagera de toute responsabilité personnelle la personne née handicapée d’une façon ou d’une autre. À ses disciples qui lui demanderont « qui a péché lui ou ses parents pour que cet homme soit né aveugle ? » Jésus répondra : « Ni lui ni ses parents mais pour que les œuvres de Dieu soient manifestées. » Jn 9 Il n’en reste pas moins que le mal est entré dans le monde par le péché des hommes, particulièrement par ceux qui ont ouvert la série noire des péchés des hommes introduisant dans la création toute sorte de dysharmonies que l’on nomme maladies ou cataclysmes.  C’est ce que l’Église appelle le péché originel, péché dont ni vous ni moi nous ne sommes responsables, mais que l’on reçoit en héritage d’humanité à notre naissance. Voilà pourquoi nous ne sommes pas si spontanément tourné vers le bien, que nous faisons le mal que nous ne voudrions pas faire et que nous ne faisons pas le bien que nous voudrions faire. Terrible réalité qui appelle la grâce d’un salut.

 

Le lépreux supplia Jésus, « tombant à ses genoux, lui dit : Si tu le veux, tu peux me purifier.»

Pauvre homme donc qui n’est pas responsable de sa maladie, pour aucun péché que ce soit qu’il ait pu commettre. Pauvre homme dont malheureusement la maladie, assimilée en son temps à l’horreur du péché qui ronge l’âme de l’homme pécheur, l’empêche de vivre heureux en plénitude. Pauvre homme qui est exclu doublement de la société des hommes, d’une part parce qu’à l’époque on ne savait pas soigner la lèpre en raison de son caractère fort contagieux, d’autre part parce que cette maladie excluait de participer au culte public du temple, la lèpre étant le symbole même du péché dont on croyait responsable le malade ou son entourage.

Voici donc notre malade au pied de Jésus à le supplier de le purifier. Toute chose que Dieu seul peut faire car guérir de la lèpre était équivalent à ressusciter un mort. De plus, dans le judaïsme, pardonner les péchés, dont cette lèpre est le symbole par excellence, appartient à Dieu seul.

En outre on ne se met à genoux que devant Dieu. Le lépreux ne confesse sans doute pas encore que Jésus est Dieu, mais il le reconnaît tellement comme venant de Dieu qu’il lui demande ce que Dieu seul peut faire. Son attitude est doublement provocatrice : enfreinte de la Loi qui interdisait à tout lépreux d’approcher les vivants en bonne santé et confession de la supériorité de Jésus sur la Loi et le Temple.

 

Jésus est tout à la fois en colère et saisi de compassion. Les deux leçons sont dans le texte. La colère du Maître s’affronte au manque de foi de certains des membres de son peuple, à leur fermeture de cœur face à la misère de cet homme certes, mais encore face à leur propre péché. Ce mal moral qui ronge les cœurs et tous les liens des hommes entre eux autant que d’avec le Dieu même qu’ils confessent. La lèpre du pharisaïsme, la lèpre de l’orgueil, surtout l’orgueil religieux, qui fait qu’on est prêt à défendre le Temple et la Torah, la loi, mais qu’on oublie la miséricorde. La lèpre de l’égoïsme sous toutes ses formes avec ses trois grands démons que sont le pouvoir, le sexe et l’argent voulus pour eux-mêmes jusqu’à la satiété du trop-plein. La lèpre de l’absence de miséricorde sans laquelle aucune justice humaine ne peut aboutir à recréer la vie. Toutes ses lèpres qui nous rongent l’âme sont plus terribles que la lèpre de ce pauvre homme pourtant si handicapante et invalidante. 

Colère du cœur de Jésus qui aime en vérité, fruit d’une sainte et authentique compassion, Jésus est remué jusque dans ses entrailles devant la misère de cet homme. Jésus est touché en plein cœur par la confiance de ce lépreux, son abandon et sa confession de foi.

 

Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. »

Voici notre homme rendu à la vie, ressuscité, transfiguré en son âme et en son corps. L’homme est réintégré dans l’assemblée du peuple d’Israël, peuple dont la fierté est d’être habité par Dieu, vivant de Dieu et donnant la vie comme Dieu et avec Lui.

 

Pourquoi donc alors cette injonction si déroutante de Jésus : « Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. » L’amour ne s’impose pas il se propose. L’amour est l’inverse du péché qui est toujours un abus de pouvoir pour imposer ses vues et n’en faire qu’à sa guise. Le péché est désobéissance au Dieu Saint de l’Alliance qui invite son peuple à des fiançailles du cœur et non à celles de l’apparence ou du faire semblant, fut-il religieux. 

Parmi ce peuple il y a tout ceux qui ne croient pas encore à l’existence d’un péché originel. Tous ceux qui s’imaginent comme Saul de Tarse qu’il suffit de pratiquer la Torah pour parvenir à l’éternité. Tous ceux qui ne veulent pas admettre avec Jérémie que le « cœur de l’homme est compliqué et malade » mettant dans leur seul pratique leur espérance de salut. 

A tous ces bien-pensants de la vie croyante Jésus offre ce signe merveilleux du lépreux guéri comme signe sa cœur messianique, Lui, Jésus, venu guérir toute la lèpre cachée de nos âmes pour nous faire vivre en plénitude. 

 

Accepterons-nous seulement de rabaisser notre orgueil et d’incliner notre cœur vers le Christ pour nous laisser guérir, tel le lépreux et tels tous les pauvres de l’évangile jusqu’au bon larron. Saul de Tarse devenu Paul, c’est-à-dire le petit, celui à qui il manque quelque chose de fondamental, confessera avec force dans sa lettre aux Philippiens, après sa grande découverte de la Miséricorde absolue qui seule sauve l’homme du péché et lui permet de vivre les commandements par grâce : « J’aurais pourtant, moi aussi, des raisons de placer ma confiance dans la chair. ... pour l’observance de la loi de Moïse, j’étais pharisien ; pour ce qui est du zèle, j’étais persécuteur de l’Église ; pour la justice que donne la Loi, j’étais devenu irréprochable. Mais tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. ... À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. » Ph 3, 4-11 

© Fr. Jean-Dominique 2017